Interview de Franois Warlet Shihan

 

Pilier de lÕA•kido belge, Franois Warlet sÕest vu dŽcerner le titre de Shihan par lÕAikikai de Tokyo ˆ lÕoccasion de lÕassemblŽe gŽnŽrale de notre fŽdŽration. Cet honneur rejaillit sur tous les pratiquants de lÕAFA et nous avons profitŽ de cette occasion pour proposer ˆ notre nouveau Shihan de nous confier ses impressions et ses souvenirs dÕA•kido. Nous vous prŽsentons avec un grand plaisir cette interview exclusive :

F.A. : Bonjour Franois, du haut dÕun demi-sicle de pratique, pourrais-tu partager avec nous quelques souvenirs marquants de ton parcours dans le monde de lÕA•kido ?

F.W. : Les souvenirs sont nombreux. Si je remonte dans le temps, je pense dÕabord ˆ mon tout premier stage avec ma”tre Tamura ˆ Bruxelles. Je ne me souviens mme plus de lÕannŽe. A lՎpoque il ne venait quÕune fois par an en Belgique. CÕest le premier ma”tre japonais que jÕai rencontrŽ et cÕest ˆ partir de lˆ que jÕai commencŽ ˆ suivre les stages et voyager.

Ma”tre Sugano mÕa Žgalement marquŽ ˆ lՎpoque o il enseignait dans toute la Belgique. Un autre souvenir marquant est ma premire venue ˆ Vincennes en compagnie de Dany Leclerre pour rencontrer Christian Tissier. JÕai vraiment ŽtŽ impressionnŽ et sŽduit par sa dynamique et surtout sa pŽdagogie. Depuis lors et pour ces raisons, je lÕai toujours suivi jusquՈ ces quelques mois o mes problmes dՎpaules ne me le permettent plus. Ce sont les trois Sensei que jÕai suivis le plus et auprs desquels jÕai le plus pratiquŽ. Mon a•kido reflte un peu de chacun de ces grands ma”tres. Ce sont les personnes les plus marquantes que jÕai eu lÕoccasion de rencontrer dans ma carrire en A•kido.

F.A. : DÕautres ma”tres tÕont-ils influencŽ par la suite ?

F.W. : Si je prends les cas dÕOsawa Sensei et de Yasuno Sensei, ce sont les professeurs les plus marquants pour moi de ces dernires annŽes. En raison de la pŽdagogie dŽveloppŽe par Osawa, la barrire de la langue nÕexiste plus tant ses expressions son limpides. Yasuno, lui, par le dŽgagement dՎnergie et la mŽthode explosive de travail quÕil dŽveloppe, attire mon admiration. La dynamique est un des aspects de lÕA•kido qui me touche le plus et cÕest pour cette raison que jÕapprŽcie autant leur travail, comme ce fut le cas pour Christian Tissier. Je me souviens aussi de Seki Sensei et Chiba SenseiÉ Il y a tant de ma”tres que jÕai rencontrŽs. Quand jÕy rŽflŽchis, je rencontre moins souvent Christian quÕavant en raison de la santŽ de mes Žpaules. Je me souviens du temps ou Dany et mois allions une fois par mois suivre ses cours ˆ Vincennes en partant trs t™t le matin en voiture pour passer la journŽe sur les tatamis lˆ-bas. Que dÕheures de route pour quatre heures de pratique tous les mois. Sans compter les stages de P‰ques et les stages ˆ lՎtranger. Christian, en plus dՐtre un ma”tre dÕexception, est un grand monsieur qui reste abordable pour tout un chacun et dÕune immense gentillesse. Auprs de ma”tre Tamura ou de ma”tre Sugano jÕai beaucoup appris en observant, mais je me heurtais ˆ la barrire de la langue. Avec Christian, jÕai pu voir et suivre ses explications dŽtaillŽes et sa pŽdagogie tellement limpide. Sa mŽthode est globale. Osawa Sensei possde Žgalement une excellente pŽdagogie et une capacitŽ ˆ se faire comprendre sans les mots. Il suscite Žgalement mon enthousiasme.

 

F.A. : En dehors des grands ma”tres, aurais-tu un autre souvenir particulier ˆ partager avec nous ?

F.W. : Je me souviens aussi de mes voyages au Japon. Lors de mes deux visites ˆ lÕAikikai, jÕai pu me rendre compte, quÕau-delˆ de la symbolique de ce lieu, cÕest un dojo comme les autres avec des pratiquants de tous niveaux. Par contre, leur prŽcision dans le travail reste un modle du genre. Mme auprs de pratiquants plus ‰gŽs, leur prŽsence et leur intensitŽ de pratique est phŽnomŽnale. La visite ˆ lÕAikikai est quelque chose ˆ vivre au moins une fois dans sa carrire en A•kido pour sÕimprŽgner de cette ambiance.

F.A. : Avec autant de sources dÕinspiration, quelles sont les grandes lignes de ton travail en A•kido ?

F.W. : Le premier axe de ma pratique est la rigueur technique. Quand jÕai lÕoccasion dÕobserver certains pratiquants, je ne retrouve pas toujours cette rigueur que je tiens comme une rŽfŽrence de lÕAssociation Francophone dÕA•kido. La rigueur technique mÕa attirŽ dans lÕA•kido et cÕest toujours elle qui me guide aujourdÕhui. Dans les arts martiaux, je ne suis pas partisan du geste pour le geste. Le mouvement doit se vouloir correct, juste. JÕexplique toujours ˆ mes Žlves que lÕA•kido nÕest pas une danse mais une discipline martiale, ce qui induit une certaine intensitŽ dans le mouvement. Dans le cadre de la pratique, moins lÕuke sera complaisant, plus il faudra se remettre en question dans le geste. Bien souvent, au sein de mon dojo, si lÕun de mes Žlves travaille en force, je parviendrai ˆ passer mon mouvement sans effort. Par contre lorsque je pratique ˆ lՎtranger avec des Žlves de mon niveau ou de niveau supŽrieur, jÕai souvent lÕimpression dÕavoir encore tout ˆ apprendre. JÕai encore un immense chemin ˆ parcourir, car en A•kido, on ne sait jamais rien sur rien, on dŽcouvre chaque jour. Celui qui peut se vanter de conna”tre lÕA•kido est sans aucun doute dŽtachŽ de la rŽalitŽ. Je me remets constamment en question.

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F.A. : Tu as formŽ et enseignŽ ˆ des centaines dՎlves. Comment te dŽfinirais-tu en tant que professeur ?

F.W. : Ė mes dŽbuts, en tant que jeune enseignant, jՎtais persuadŽ quÕil nÕy avait quÕune manire dÕaccomplir la technique juste. Je me suis heureusement rendu compte que lorsquÕon a compris les principes que sont le moment de lÕaction, le centrage et la distance, sans se focaliser sur la technique, on peut alors les appliquer dans tous les mouvements. Si lÕon passe ˆ c™tŽ des principes, on risque dÕencha”ner technique sur technique sans jamais avancer ou alors trs difficilement.

Ma”tre Tamura mÕa dit il y a plus de quarante ans : Ē Lors dÕun examen, quand je vois un pratiquant effectuer un ikkyo, je connais dŽjˆ lÕissue de lՎpreuveÉ Č. Je nÕavais pas compris ˆ lՎpoque mais aujourdÕhui, 45 ans plus tard, je perois quÕeffectivement, quand je vois un pratiquant, selon son placement, selon sa posture, aprs un ikkyo ou un nikkyo, je peux dŽjˆ me faire une idŽe sur sa pratique. SÕil manque dÕengagement, sÕil commet des erreurs, mmes minimes, ces erreurs le poursuivront dans sa pratique et peuvent devenir prŽjudiciables. La rigueur technique est pour moi la base sur laquelle construire les principes ˆ partir desquels jailliront les techniques. Si la base nÕest pas stable, la construction ne tiendra pas dans le temps.

En A•kido, chacun en retire ce quÕil veut en retirer. Au sein de mon dojo, certains Žlves viennent se distraire, cÕest leur choix. Ils ne visent aucun niveau au aucun grade, ils pratiquent un cours par semaine et sont heureux ainsi. DÕautres de mes Žlves par contre suivent la voie de la rigueur de lՎvolution et cela me rŽjouit beaucoup plus. Personnellement, je ne suis heureux que si ma pratique me semble correcte.

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Prenons par exemple Dimitri Crenier qui a passŽ son quatrime dan devant Christian Tissier. JÕai connu Dimitri aux cours pour enfants, je lÕai ensuite supervisŽ aux cours adultes durant des annŽes. LorsquÕil a passŽ son quatrime dan, bien que je sois extrmement exigeant, jÕen ai versŽ une larme. Son examen Žtait plus que magnifique. La plus grande part de ce succs lui revient entirement mais jÕose croire que si je ne lÕavais pas aiguillŽ correctement, il ne serait peut-tre pas parvenu ˆ ce rŽsultat Žpoustouflant. Je suis fier de lui avoir transmis la rigueur et le sŽrieux dans la pratique. Sa volontŽ dÕapprendre et sa pratique dÕaujourdÕhui mÕinspirent un immense respect. Je retrouve une petite part de ce que je lui offert, le gožt de lÕA•kido et des choses bien faites, quÕil peut ˆ son tour transmettre ˆ ses Žlves qui seront de bons pratiquants, jÕen suis persuadŽ.

F.A. : Tu as rŽcemment reu le titre de Shihan, peux-tu nous en parler ?

F.W. : Dans un premier temps, pour des raisons personnelles, jÕavais refusŽ la proposition de notre prŽsident dÕintroduire mon dossier. Dans le respect des traditions, je nÕai jamais demandŽ un grade, un titre ou toute autre marque de distinction. JÕai toujours attendu que les ŽvŽnements surviennent naturellement avec le temps. JÕai Žgalement toujours agi de la sorte envers mes Žlves. Je ne pouvais pas accepter de rŽclamer de quelque manire que ce soit, jÕai donc choisi dÕattendre.

F.A. : Au final, les choses se sont passŽes un peu diffŽremment. QuÕas-tu ressenti ˆ lÕoccasion de cette nomination prestigieuse ?

F.W. : Le titre de Shihan que jÕai reu est une reconnaissance. CÕest lÕunique raison pour laquelle je lÕai acceptŽ. FrŽderic, notre prŽsident, et Dany Leclerre en ont certainement discutŽ avec le Hombu Dojo et construit le dossier. Je connais cette procŽdure pour lÕavoir dŽjˆ accomplie pour Dany Leclerre ˆ lՎpoque. Ils avaient attendu le bon moment pour introduire ce dossier sans mÕen parler. Je nÕai appris la nouvelle que quelques minutes avant lÕassemblŽe gŽnŽrale de la fŽdŽration quand FrŽdŽric et Dany me lÕont annoncŽe. Ils craignaient sans doute un peu ma rŽaction mais, au final, je suis heureux de cette reconnaissance par mes pairs. Il me revient en mŽmoire la remise de mon shodan, au terme de laquelle jՎtais tellement heureux que je nÕimaginais pas pouvoir aller plus loin. JÕai la conviction que les choses justes arrivent au moment juste, comme un candidat ˆ lÕexamen qui reoit son grade parce quÕil est prt. SÕil ne le reoit pas, ce nÕest rien dÕautre que le monde qui lui dit au travers de ses Žvaluateurs quÕil nÕest pas encore prt, quÕil nÕest pas encore temps. Je suis mme fier de rejoindre Dany, Louis et Jacques en tant que Shihan car nous avons parcouru tellement de tatamis ensemble que ce nÕest finalement quÕune suite logique. Je me rappelle de nos voyages au travers de lÕEurope en France, en Italie ou en Suisse lorsque nous suivions Sugano Sensei dans ses dŽplacements.

Nous sommes tous de la mme gŽnŽration et nous formons vraiment un groupe. Gr‰ce ˆ lÕA•kido, jÕai pu voyager et surtout me forger de nombreuses amitiŽs un peu partout qui perdurent encore aujourdÕhui. Celui qui ne pratique lÕA•kido que sur le tatami passe ˆ c™tŽ de la vŽritable richesse de la pratique. LÕA•kido est un tissu social.

F.A. : Ce titre tÕimpose-t-il de nouvelles responsabilitŽs ou de nouveaux questionnements ?

F.W. : Cela mis ˆ part je ne changerai pas ma pratique ni mon enseignement de lÕA•kido qui restent ma passion. Je resterai aussi exigeant envers mes Žlves et encore plus envers moi-mme, comme je lÕai toujours ŽtŽ. La seule ombre au tableau reste les limites que mÕimposent ˆ prŽsent mes Žpaules et de ce fait je ne peux plus pratiquer aujourdÕhui autant que par le passŽ. Je reste aussi actif quÕauparavant pour animer mes cours, mais je ne puis tre prŽsent ˆ tous les stages importants comme au bon vieux temps.

Je ne me pose par exemple la question de rester encore longtemps ˆ la commission des grades. Quelque part, je me suis toujours voulu un exemple de prŽsence dans tous les stages et je ne peux dŽcemment plus arpenter les tatamis comme avant. JÕai usŽ tellement de voiture lors de ces dŽplacements que je ne les compte plus mais aujourdÕhui je me dois dÕadmettre que ce temps est derrire moi. Je ne suis plus en mesure de c™toyer les pratiquants de la fŽdŽration aussi souvent que je le voudrais et cela me trouble. Pour juger un candidat, jÕai vraiment besoin de lÕavoir rencontrŽ dans le cadre dÕun stage, sans cela, je ne me sens pas aussi apte ˆ lՎvaluer. La nouvelle gŽnŽration des shodan mÕest peu connue et cela me gne un peu. Cela nÕenlve rien ˆ ma rigueur technique ni ˆ mon jugement gŽnŽral maisÉ ces ŽlŽments font partie de mon questionnement actuel.

F.A. : Comment fais-tu pour progresser et Žvoluer encore comme tu le fais aprs autant dÕannŽes de pratique et avec un niveau comme le tien ?

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F.W. : Ė nos dŽbuts avec Dany nous pratiquions de manire trs sportive. Nous nous Žchauffions parfois sur la piste dÕobstacles du centre sportif de la fabrique nationale de Herstal avant un entra”nement. Physiquement notre pratique Žtait rude. Nous suivions par exemple Chiba Sensei qui avait une martialitŽ impressionnante. Il mÕa Žgalement marquŽ ˆ lՎpoque. Il avait un travail physique assez fort. Nous qui Žtions de jeunes chiens fous, ce genre de pratique nous plaisait beaucoup. Nous avions ˆ lՎpoque, Dany et moi, une rŽputation de pratiquants assez durs dans le petit monde de lÕA•kido belge. Avec le temps nous nous sommes remis en question car la duretŽ ne mne pas trs loin dans le cadre de lÕA•kido. Elle se rŽvle mme trs rapidement limitante. JÕai appris ˆ ne plus confondre force et puissance. La puissance nait de la dŽcontraction. Il faut pouvoir la dŽvelopper dans le temps. Actuellement quand jÕobserve une pratique trop dure, cela ne mÕintŽresse plus. JÕai apprŽciŽ ce genre de pratique ˆ mes dŽbuts mais je ne souhaite plus voir a aujourdÕhui. LÕA•kido doit rester souple, dynamique et puissant. A lÕimage de Sensei Tamura, qui du haut de ses soixante kilos me donnait lÕimpression de nՐtre quÕune feuille de papier. A contrario jՎtais incapable de le dŽplacer, comme si jՎtais face ˆ un rocher. Cela mÕa toujours sidŽrŽ. Je ressens dÕailleurs la mme impression avec Osawa Sensei. Cette recherche me guide donc encore maintenant, la recherche de lՎnergie ˆ bon escient au bon moment. CÕest un travail de tous les instants.

 

F.A. : Peux-tu partager avec nous tes souhaits et tes espoirs quant ˆ lÕavenir de lÕA•kido ?

F.W. : Mon souhait est que lÕA•kido continue une Žvolution positive. Le problme actuel est le manque de rigueur technique de certains pratiquants. Une personne pratiquant lÕA•kido et qui est bien orientŽe dans sa pratique, mme si elle arrte un jour, parlera toujours de notre discipline de manire positive. A contrario quelquÕun qui aura ŽtŽ mal formŽ au sein dÕun dojo, lorsquÕil arrtera la pratique, diffusera une idŽe nŽgative de lÕA•kido. CÕest un problme actuel et jÕai toujours ŽtŽ convaincu que le lŽgislateur belge devrait mettre en place le mme systme quÕen France avec les brevets dՎtat. Ce systme passerait par exemple par lՎcole des cadres de lÕADEPS et permettrait dÕassurer un mme niveau de qualitŽ dans les bases pour tous les enseignants dÕA•kido. Il est dangereux quÕaujourdÕhui nÕimporte qui puisse enseigner nÕimporte quoi car cela peut avoir de graves consŽquences. Le respect mutuel en toute circonstance et le souci de qualitŽ ne doivent pas tre nŽgligŽs.

F.A. : Pour conclure cette interview, as-tu quelques conseils ˆ offrir aux dŽbutants en A•kido afin de les aider ˆ ne pas se perdre en chemin ?

F.W. : LÕenseignement de lÕA•kido reste ma passion. Je voudrais conseiller aux dŽbutants en A•kido de se concentrer sur la persŽvŽrance. LÕA•kido est une discipline complexe qui demande beaucoup de temps et de rŽpŽtitions pour en percer les subtilitŽs. Pratiquer pour viser un grade ou un statut est une erreur. Les grades ne sont pas un but mais une consŽquence qui arriveront par la force des choses. Et pour cela il nÕy a quÕun seul chemin : la persŽvŽrance dans la durŽe. Chacun aura des hauts et des bas dans le moral et la motivation. Mais le seul moyen de dŽpasser ces obstacles est la persŽvŽrance. CÕest un prŽcepte valable dans tous les domaines de la vie.

F.A. : Merci beaucoup Franois !

F.A. Š Flash A•kido